Repartir à Londres et trouver toutes les raisons valables pour s’asseoir béatement devant La Baignade à Asnières de Seurat. Se “pointiller” l’esprit et s’en imprégner, s’en pigmenter les yeux et le cœur et ne point réfléchir.
On se demande pourquoi cette toile parmi tant d’autres peut faire cet effet. On se sent si petit.e devant sa grandeur, si faible devant sa force.
Refusée d’abord au Salon des Indépendants, en 1884, elle sera acquise par le critique d’art Félix Fénéon auprès des héritiers de Seurat, après sa mort. Elle reste longtemps en sa possession jusqu’à ce qu’il se décide à la vendre. Et c’est la National Gallery, à Londres, qui l’achète.
À travers cette scène au bord de l’eau, l’œuvre représente encore clairement le courant impressionniste, même si on voit les contours lisses des baigneurs et les formes plutôt géométriques. L’aspect clair de la toile et l’ambiance générale où l’on admire une scène de loisir inspirent un moment d’évasion.
L’utilisation du nombre d’or est proéminente dans la composition de cette œuvre, que ce soit de par ses dimensions (202 x 301 cm), ou par la position et la taille des sujets et de leurs formes aux lignes nettes et pures.
La peinture de cette toile, appliquée par petites touches de couleur, est une technique de travail adoptée par Seurat dans les années 1880, catégorisée dans le néo-impressionnisme, alors que les critiques l’ont nommée péjorativement: pointillisme.
Ce courant n’a pas duré longtemps mais il a été élaboré de façon indirecte par les artistes fauves et post-impressionnistes.
Cette toile, une des plus célèbres de la période pointilliste, se trouve au sein de la National Gallery, à Londres. Elle domine la salle où elle est exposée, en face des Tournesols de Van Gogh, ainsi que d’un bouquet de fleurs de Gauguin, d’une grande toile reconstituée de Manet et de plusieurs paysages pointillistes de Pissaro.
Au-delà de la technicité de l’œuvre, du gigantisme de sa taille, c’est un rêve qui se peint, silencieux et serein devant l’observateur.
On se pose sur le banc face au tableau, pour la énième fois. On ne se lasse pas de la poésie qui en émane, on écoute le gazouillis des oiseaux, le cliquetis de l’eau, les conversations entre les baigneurs. On ressent la fraîcheur de l’atmosphère, la paresse de l’instant.
Cette œuvre est en effet plus qu’une peinture. C’est une scène réelle de la vie qui demeure aussi vivace des siècles plus tard. Elle dégage une sérénité inégalée.
On se surprend à entendre des sons venus d’ailleurs et à éprouver la chaleur qui s’en dégage. C’est un voyage immobile qui se fait vers un autre temps. Des personnages sont en mouvement, l’eau coule doucement. On devine les histoires qui se cachent derrière les touches de peinture. Chaque point dégage une émotion latente.
Ce tableau, on va souvent le revoir, sans jamais se lasser. Il est toujours là, fidèle à son poste, vous remplissant de cette émotion atypique que seuls les artistes peuvent éprouver, qui secoue leurs tripes, et qui n’appartient qu’à eux.
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