Carré blanc sur fond blanc

Peindre par ces temps de cTransparence d’un moment, ironie d’un sort, couleur sans couleur, monochrome sans cadre, fond sans espace, forme sans lignes, blanc sur blanc, rien sur rien… tout sur tout. Rêve ou voyage, amnésie ou hallucination, arc-en-ciel ou illumination. Je me trouvais soudain devant la fameuse toile de Malevich, impuissante devant sa force et impressionnée par son aura.rise au Liban est devenu un défi constant. Il serait facile de se laisser aller à cette vague de négativité ambiante qui tue la créativité et qui fait perdre l’inspiration. 

Peinte par Kasimir Malevich en 1918 après la révolution d’octobre, Carré blanc sur fond blanc est une huile sur toile appartenant au mouvement du suprématisme. Comme son nom l’indique, elle consiste en un carré blanc, peint sur un fond blanc, d’un ton légèrement différent. Exposée au Moma à New York, elle impose le respect dans ce musée d’art moderne où résident les plus grands maîtres.

Perplexe, je découvrais cette œuvre et laissais mes émotions me parler. J’attendais mes réactions internes. J’essayais de comprendre. Il n’y avait en fait rien à vraiment discerner. Il n’est pas toujours nécessaire de trouver des explications à l’art abstrait. Il faut ressentir. Et j’écoutais toutes ces sensations qui surgissaient en vagues blanches et nacrées, en formes réelles et imaginaires. Il suffit d’une ligne pour émouvoir, d’une seule couleur pour transpercer l’âme, d’une tonalité incolore pour puiser dans les tréfonds de la palette du peintre les sentiments les plus violents.

Il y avait un monde fou au Moma ce jour-là. C’était un lundi de Pâques et les visiteurs surgissaient par groupes denses. La salle où je me tenais debout devant cette œuvre était bondée. Mais j’étais seule avec le peintre, je le voyais gaver sa toile de textures; je l’entendais lui crier sa colère, lui dire sa peine, lui donner son bonheur. Je m’égarais dans ce coulis de blanc et je fermais les yeux pour mieux voir sa lumière. Je n’entendais plus aucun murmure, je ne voyais plus personne autour de moi. J’étais au milieu de l’art. Dans le fond de l’abîme. Au sommet de l’angle de l’infini, dans sa blancheur, dans la pureté de l’œuvre, au-delà des limites du tableau.

Ce jour-là, au musée, je devenais soudain légère, je voyais dans l’absence de couleur, je naviguais dans la forme diluée, je dansais au fond du pot de peinture, j’écoutais les multiples brisures de pinceau et les infinis chuchotements de tous ceux qui avaient apprécié cette œuvre avant moi. Nous étions de multiples observateurs transparents devant elle; elle était opaque devant nous. Elle disait des mots insensés et elle reflétait des pensées cachées. Elle était abstraction du néant et tourments de solitude.

La transe artistique existe. Elle est intemporelle. Elle est pure et libre comme un monochrome qui embrase l’âme et qui se couche, inerte, sur une toile de lin.

Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch, 1918, huile sur toile, 79,4 × 79,4 cm.

Original article at icibeyrouth.comhttps://icibeyrouth.com/culture/17648

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