*Elle a plus d’un pinceau à sa palette de talents. Elle peint, elle écrit, elle vibre et fait vibrer. Son monde est coloré. Son monde est couleur. Il faut dire que Zeina Nader fait partie d’un infime pourcentage de la population mondiale à être atteinte d’un « trouble » des plus originaux : celui de percevoir toutes les matières, vivantes et mortes, par le prisme des couleurs. Que ce soit un goût, un toucher, une saveur, toutes ses perceptions passent par le biais de son arc-en-ciel personnel. « Synesthesia » qui se tient à KAF Gallery jusqu’au 12 octobre est sa troisième exposition en solo. Cette artiste plurilingue et multidisciplinaire nous réserve de belles surprises pour 2022 !
Rencontre.*
*Le thème de votre exposition en solo renferme un monde quasi unique. Que veut dire « Synesthesia » et quand avez-vous découvert que vous en étiez « atteinte » dans le sens le plus noble du terme ?*
Définition de Synesthésie par le Larousse : expérience subjective dans laquelle des perceptions relevant d’une modalité sensorielle sont régulièrement accompagnées de sensations relevant d’une autre modalité, en l’absence de stimulation de cette dernière (par exemple audition colorée).
Depuis que j’étais petite fille, j’associais toutes les choses que je ressentais à des couleurs, des tonalités ou des formes imaginaires. Les chiffres, les lettres, les mois et les jours de la semaine avaient chacun une couleur particulière. Ceci m’aidait à mémoriser plus facilement et, malgré mon esprit artistique, ceci me facilitait les
choses en calcul mental. J’utilisais aussi intuitivement les couleurs pour apprendre les langues. La musique, particulièrement classique, était toujours une corrélation de lignes enchevêtrées et d’éclats de couleurs. C’est ainsi que je me suis habituée à écouter les arcs-en-ciel. J’expérimentais cela durant mon enfance et je croyais que
c’était normal. Je croyais que tout le monde écoutait, sentait, touchait et ressentait les couleurs comme je le faisais.
De plus, chaque incident qui m’arrivait, qu’il soit positif ou négatif, générait une montée intense de couleurs catapultées dans mon esprit.
Je connectais même les personnes aux couleurs. Ce n’est pas que je voyais leurs peaux rouge ou bleue, mais les images que j’avais de chacun d’eux étaient assimilées à une couleur spécifique. C’est ainsi que j’ai grandi, croyant que tout le monde autour de moi lisait la vie de la même façon, mélangeant les sons, les sentiments et les émotions à des formes et des couleurs. Je réalisais plus tard que cela n’était pas une chose commune. J’ai fait des recherches, j’ai pris l’avis de professionnels et j’ai compris que ceci était un trouble rare que certaines personnes
(approximativement 2 à 4 % de la population) ont sans être impliquées dans des problèmes de drogues ou de lésions cérébrales. Ceci est la Synesthésie.
Durant ma vie d’adulte, j’ai été pleinement consciente de ce trouble et j’ai ainsi découvert que je ressentais la vie différemment que les autres. C’était beau et si coloré, mais aussi parfois assez difficile parce que j’étais seule dans mes perceptions et mes obsessions des couleurs.
Ceci m’a donné indirectement la capacité de faire de l’art. J’ai commencé à peindre à un âge très jeune parce que c’était évidemment ma manière la plus facile de m’exprimer. Et lorsque j’ai trouvé mon cheminement dans l’art abstrait, c’était indubitablement la meilleure façon de partager mon sens fou des couleurs. Aujourd’hui je prends
plaisir à vivre ce trouble. C’est une manière plaisante et rare d’expérimenter la vie et, bien que je sache que mon cerveau me joue des tours, j’en tire profit. Je puise dans les tréfonds de mon âme et je crée de l’art insensé !
*Quelle toile parmi les quinze exposées a votre préférence et pourquoi ?*
Chaque toile est une émotion profonde, une part de mon âme, un moment que je partage avec joie. Je n’ai pas de préférence, j’ai des impressions qui se reflètent en épisodes colorés. Et chaque toile que je revois, seule ou exposée avec les autres, est chaque fois une nouvelle occasion de ressentir telle ou telle sensation. Les toiles ne sont pas statiques. Elles bougent dans le temps et l’espace. L’observateur les ressent différemment selon ses propres humeurs du moment. Tout est question de sentiments et d’émotions. L’abstraction touche les tréfonds
de l’âme.
*Le catalogue est un livret riche en textes qui sont de véritables pépites accompagnant vos toiles. Cette interaction entre les mots et les couleurs est votre marque déposée ?*
Je crois que j’ai beaucoup de choses à partager et je trouve que les mots mettent en valeur les couleurs. Et vice versa.
J’aime écrire des couleurs et peindre des mots.
*Quels sont vos prochains projets ? Vous qui avez l’habitude de nous surprendre et qui carburez à la passion de votre art…*
Mes toiles qui ont été sélectionnées pour être exposées dans un musée aux États-Unis en décembre 2021 vont faire partie d’un grand événement artistique et caritatif, entre le Liban et l’Illinois. Le volume 2 de mon livre d’art «Mots sur Couleurs» devrait sortir début 2022 en deux langues : français et anglais.
Je prépare aussi une prochaine exposition en solo qui aurait lieu dans un concept très différent.
*Qui est Zeina Nader ?*
Née à Beyrouth et diplômée en études scéniques, audiovisuelles et cinématographiques, Zeina a toujours été éprise de l’art sous toutes ses formes. Après en avoir touché différentes facettes, elle trouve son bonheur grâce à la plume et au pinceau. Sa peinture, qui a été exposée au Liban et à l’étranger, a été couronnée par plusieurs distinctions internationales. Ses toiles ont été récemment sélectionnées pour être exposées dans un musée aux États-Unis. Son livre d’art « Mots sur Couleurs » a été publié en 2016 et signé au Salon du livre de Paris.
Deux autres ouvrages littéraires ont vu le jour en 2018 et 2021.